Le juge est-il au-dessus de la loi ?
La dénégation précipitée serait pure catéchèse bigote. Ce n’est pas une question de principe. La question est ici de savoir si un juge peut être sanctionné pour ses actes illégaux. S’il peut l’être et s’il arrive concrètement qu’il le soit. Et dans quelles proportions par rapport au justiciable lambda ?
Rapide tour d’horizon.
Les textes permettant la prise à partie d’un magistrat pour faute personnelle dans l’exercice de ses fonctions ont été abrogés en 1979. Depuis, seule la responsabilité de l’État peut être engagée pour de telles fautes du magistrat. Si l’État en vient à être condamné du fait d’une faute personnelle d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions, celui-là peut alors se retourner contre le fonctionnaire fautif et engager la responsabilité de celui-ci ; c’est le principe de l’action récursoire de l’État.
Si l’État français est régulièrement condamné pour fonctionnement défectueux du service de la Justice, ce principe de l’action récursoire contre le juge fautif n’a jamais été mis en application.
À ce stade, dans l’exercice de ses fonctions, le juge faute donc dans l’impunité totale.
Il arrive que, dans le cadre de ses fonction, un magistrat intervienne hors son périmètre de légitimité. Disons alors qu’il usurpe l’autorité judiciaire. Il est alors pénalement responsable de ses actes.
C’est un tel cas qui a valu le procès lyonnais de deux magistrates (voir notre billet). Suivant les réquisitions du ministère public, le jugement conclut que la responsabilité des deux magistrates ne pouvait être engagée.
Rappelons qu’en amont de ce procès la plainte pénale avait été classée sans suite par le procureur de Bar-le-Duc, et que le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) avait prononcé une dispense de peine.
Un cas d’espèce peu concluant en matière de sanction.
Hors l’exercice de ses fonctions, on répète à l’envie que le juge ne jouit d’aucune immunité, étant un justiciable comme les autres.
Des statistiques concernant l’issue des procédures civiles impliquant un magistrat comme partie au procès seraient les bienvenues.
Les mêmes statistiques nous éclaireraient dans le cas des mises en cause pénales. Additionnellement, il serait instructif de connaître le taux relatif de classement sans suite des plaintes contre un magistrat.
Il arrive en effet qu’un tel classement sans suite puisse paraître abusif (voir notre billet : Le procureur ignore l’escroquerie et assure l’impunité pénale de sa collègue ex-substitute).
L’embarras naît ici du fait que les juges sont jugés par leurs pairs et que – même si ce soupçon est malséant – l’on pourrait craindre le constat d’une partialité corporatiste.
Des statistiques feraient l’arbitre et permettraient soit de faire taire les soupçons infondés nuisant à l’image (déjà peu reluisante) de la Justice auprès des justiciables, soit de prendre les mesures qui s’imposent pour redonner à la Justice toute la légitimité nécessaire.
Reste la mise en cause disciplinaire du magistrat pour manquement déontologique.
La procédure disciplinaire est assurée par le Conseil Supérieur de la Magistrature (voir notre billet Le bureau de la déontologie pour quelque précision). Trois modes de saisine sont prévus par les textes :
- La réforme constitutionnelle de 2007 instaure la saisine directe par le justiciable. Particulièrement contraint, ce mode de saisine conduit à des statistiques désolantes en matière de recevabilité des dossiers et pire encore en matière de sanctions, faisant passer pour un « attrape-couillons » ce mode d’action offert au justiciable (voir billet à venir).
- Les présidents de juridiction et de ressort ont depuis 1979 la prérogative de signaler au CSM les manquements déontologiques des magistrats placés sous leur responsabilité hiérarchique. Le nombre de saisines effectuées selon cette modalité dans les dernières années parle de lui-même : zéro.
- Enfin, en vertu de la constitution de 1958, le ministre de la Justice a cette prérogative de saisine du CSM pour manquement déontologique du magistrat. Sous l’actuel ministère d’Eric DUPOND-MORETTI, le nombre annuel de telles saisines est passé de moins d’une demi-douzaine à près d’une vingtaine. Notons cependant que c’est pour certaines de ces saisines que le Garde des Sceaux et Ministre de la Justice est lui-même poursuivi en justice (sic). Faut-il voir là la réaction d’un système immunitaire – système qui, pour filer la métaphore biologique, serait celui du corps des magistrats ?
Notons pour finir que les obligations déontologiques du magistrat, tenu à des devoirs d’exemplarité et de représentativité, s’imposent à lui aussi bien dans son activité professionnelle que dans sa vie privée.
Il est peut-être justifié mais en tous cas regrettable que le CSM, en charge de définir les obligations déontologiques du magistrat, rechigne à quelque texte précis et préfère s’en tenir à des principes généraux (impartialité, dignité, délicatesse, honneur,…) ; en l’espèce, les surprenantes réticences de ces gens de droit à un texte contraignant pourraient être perçues en relation avec l’inefficience statistiquement constatée du CSM en matière de sanction disciplinaire.
Certaines affaires et certains dossiers pourraient laisser penser que la pratique judiciaire, indépendante et souveraine, installe en effet le juge au-dessus de la loi.
Suivant une approche plus globale, les chiffres à notre disposition laissent quant à eux craindre comme une tendance collective à l’auto-impunité organisée.
On constate en tous cas un bien faible taux de sanction concernant les magistrats.
La population des magistrats serait-elle par essence plus honnête que la population nationale qu’elle a pour mission de juger ? L’impunité relative factuellement constatée dans les quelques chiffres publics ne serait-elle pas au contraire une sorte d’incitation naturelle à l’infraction ? « Incitation naturelle », car telle est précisément l’une des principales raisons d’être du juge ; sanctionner l’infraction pour donner réalité à la loi.
La question initiale reste ouverte, mais elle est d’importance ; si le juge s’avérait être au-dessus de la loi, il le serait factuellement du seul fait de la pratique judiciaire (exception faite du non exercice de l’action récursoire de l’État), et c’est alors l’ensemble de l’institution qui en perdrait toute légitimité.
Il nous reste, pour finir, le choix de l’acte de foi. Mais admettons que la juxtaposition des adjectifs « indépendante » et « souveraine » nous rend la chose difficile. Qu’est-ce donc qui prémunit contre la dérive autoritaire d’un pouvoir ?
Certainement pas la foi dans l’auto-contrôle de celui-ci.
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