Nous appelons « Justice » notre institution judiciaire et son activité.
Le 20 juin 2020, Monsieur Eric DUPOND-MORETTI, non encore garde des sceaux et ministre de la justice, qualifiait cette terminologie d’ « erreur millénaire » . Laissant ouverte l’interprétation de ces propos, nous en proposons ici une approche partielle portant sur la symbolique religieuse attachée à « la Justice » .
A cette fin, nous recommandons et commentons ici un très bon petit documentaire pédagogique sur les symboles de la justice proposé par le ministère de la justice (cf. page officielle Les symboles de la Justice) et qui nous semble dire quelque chose de l’image que cette institution cherche à donner d’elle-même.
La symbolique de la justice y est présentée en plusieurs phases historiques, une très étonnante erreur terminologique ponctuant systématiquement les transitions :
- première transition, annonçant l’ère chrétienne (minute 1’09) : « L’univers religieux est l’autre référence de l’iconographie judiciaire » , alors que l’on évoque précédement « le sacré » , « les puissances surnaturelles » ,… (sic).
- deuxième transition, à la révolution française (minute 1’45) : « Avec la révolution française, l’image va prendre ses distances à l’égard de la religion… » « …Dans la mythologie grecque, Thémis est la déesse qui incarne la Justice. Elle devient l’alégorie judiciaire la plus populaire » (sic).
Il faudrait donc comprendre qu’on ne puise dans la symbolique religieuse qu’à partir du christianisme et seulement jusqu’à la révolution française. Ces transitions en deviennent absurdes tant elles portent en elles leur propre contradiction (on délaisserait les références religieuses au bénéfice d’une ‘déesse’ – notion elle-même éminemment religieuse…). Cet isolement méthodique d’une phase prétenduement seule religieuse est stupéfiante alors qu’il n’est question tout au long de ce document QUE de symbolique religieuse. On peut en effet y reconnaître à peu près les trois phases suivantes :
- symbolique religieuse paganiste
- symbolique religieuse chrétienne
- symbolique religieuse antique (gréco-romaine)
Et encore ce documentaire passe-t-il sous silence la symbolique des édifices judiciaires eux-mêmes à partir du XIXième siècle, calqués sur le modèle des temples (…religieux) antiques gréco-romains. Cette ‘erreur’ terminologique est si grossière qu’elle ne peut être qu’un choix. Les auteurs auront fait le choix surprenant de limiter le sens de « religion » à « religion d’état du moment » (la religion catholique au moyen-age et à la renaissance).
Nous tirons donc deux apprentissages de cet intéressant documentaire.
Premier apprentissage : à travers l’histoire, symbolique et iconographie judiciaires ont toujours essentiellement puisé dans le registre religieux.
Deuxième apprentissage : malgré cette première évidence, la pédagogie officielle tend à présenter la symbolique religieuse du judiciaire comme seulement une parmi d’autres (qui ne seraient pas, elles, religieuses).
Qu’est ce qui peut justifier un tel effort de falsification, ou même simplement une aussi grossière erreur ou approximation ? La symbolique intrinsèquement religieuse du judiciaire, renvoyant au divin et au sacré, poserait-elle un problème de bienséance à cette institution, pour qu’elle cherche à la minimiser par de tels procédés ?
Celle-ci témoignerait-elle de quelque difficulté à s’identifier à cette symbolique intrinsèquement religieuse, ou tout au moins à l’assumer vis-à-vis du citoyen ?
Ce serait compréhensible, tant la symbolique religieuse – propre à inspirer la soumission inconditionnelle à l’autorité – s’est montrée incompatible avec la valorisation du principe de rationalité sous-tendant la pensée des lumières, tant un système religieux organisé est l’antinomie du principe de démocratie.
S’il faut évidemment à la république une certaine sacralisation, celle-ci – qui se veut démocratique – se doit néanmoins de questionner ses références au sacré.
Au delà de la symbolique religieuse écrasante dont elle pare ses institutions et ses agents, il s’agit de s’interroger sur le statut qu’elle accorde à ceux-ci. Prétention à la souveraineté, intouchabilité de fait, caractère blasphématoire de toute mise en question, interdiction de commentaire de leur activité sacrée ; autant d’attributs du divin qui placent certains des agents de l’État quelque part entre ce divin et le simple mortel dont ils administrent l’existence, extrayant par là-même ces agents du corps démocratique.
L’équation est difficile puisque, redisons-le, une certaine sacralisation des institutions est nécessaire. ‘Dieu merci’, une république n’a pas nécessairement à être rigoureusement démocratique.
Lire à ce sujet notre prochain billet sur la république théocratique iranienne.
liens media : image et video appartenant à la médiathèque de la justice, et accessibles sur le site du ministère de la justice.
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