
Le 21 septembre dernier s’est tenu au tribunal judiciaire de Lyon le procès correctionnel de deux magistrates pour des faits de faux en écriture publique. Elles encourent 10 ans de prison et 150 000 € d’amende. Le verdict est attendu pour le 26 octobre.
Les faits se sont déroulés le 12 juin 2015 à l’issue d’une audience au tribunal judiciaire (alors tribunal de grande instance) de Bar-le-Duc en Lorraine. Les deux magistrates y exerçaient alors leurs fonctions ; l’une comme présidente du tribunal et juge du siège, l’autre comme substitut du procureur.
Alors en détention provisoire depuis dix mois pour faits de violence, le prévenu à été condamné mais le verdict n’a fait aucune mention d’un maintient en détention. Celui-là s’apprêtait donc à sortir de prison dans la journée.
C’était sans compter sur les faits survenus immédiatement après l’audience, et pour lesquels les deux juges sont aujourd’hui poursuivies. Trouvant le jugement insatisfaisant, après concertation, elles ont ‘rétroactivement’ coché la mention « maintient en détention » sur la fiche pénale du détenu. À coup sûr, chacun prendrait cette mention pour parole d’évangile. À coup sûr, Eric HAGER resterait en détention. « À coup sûr » …
À 13h50 ce même jour, Eric HAGER est retrouvé décédé, pendu à ses lacets dans sa cellule.
S’est-il suicidé du fait de sa condamnation, ou du fait de son illégal et arbitraire maintien en détention ? Ouest France, par exemple, est assez explicite sur la causalité du faux en écriture dans le décès d’Eric HAGER.
Il faut bien comprendre que la force de la chose jugée prend effet au moment de l’énoncé du verdict. Elle s’impose dès cet instant à chacun, et en premier lieu aux parties au procès. Si ces parties sont insatisfaites de la décision, elles ont (en général) un droit au recours. Ce droit s’exerce dans un cadre procédural bien défini par la loi.
Hors ce cadre du recours (et hors la demande en révision), nulle contestation possible pour quiconque. Il en va de la signification même de l’autorité judiciaire. Qu’adviendrait-il si chacun se permettait d’appliquer un ‘autre verdict’ plus satisfaisant à ses yeux ? Qu’adviendrait-il si chacun se permettait de ne pas appliquer le verdict tel qu’énoncé avec l’autorité du judiciaire ?
Et qu’advient-il couramment à celui ou celle qui contrevient à une décision de justice ?
Un cadre légal qui s’impose à tous, c’est aussi un calendrier judiciaire strictement prévu par la loi. Souvent tragiquement, le couperet de l’horloge judiciaire s’impose à tous. Ainsi pour le justiciable, après l’heure, un droit n’est plus un droit. Ce couperet s’impose à tous ; après l’heure, un pouvoir n’est plus un pouvoir, une autorité n’est plus une autorité. Il y a aussi une limite temporelle à la légitimité de l’exercice d’un pouvoir.
Présenter un nouveau verdict (par l’ajout en un sens antidaté d’une mention) après son énoncé officiel, prétendre le faire encore « au nom du peuple français » , prétendre le faire appliquer par tout agent représentant l’État, c’est faire un « faux en écriture publique ou authentique » .
C’est se sentir autorisé à (dans ce cas) incarcérer ou maintenir en détention en dehors de tout cadre procédural légal, et donc dans un arbitraire que rien ne peut justifier. Il n’y a plus là Justice. Il y a là violence. D’où l’inculpation pour « atteinte arbitraire à la liberté individuelle » .
Ce qui inquiète ici, c’est la légèreté administrative avec laquelle ces magistrates s’autorisent à ‘compléter un dossier’, à corriger d’un trait de plume ce qu’elles semblent considérer comme une ‘erreur judiciaire’. Combien de justiciables ont quant à eux à se soumettre à ce qu’ils vivent comme une erreur judiciaire dont ils seraient victimes ?
On invoque l’inexpérience des deux magistrates. Le justiciable peut-il mettre en cause un jugement pour cause d’inexpérience du juge ? Se peut-il par ailleurs que l’on envisage l’inexpérience à ce point d’une présidente de tribunal judiciaire ?
Dans un sens, il y a là violence faite à la justice. Violence faite à l’autorité judiciaire par l’usurpation de cette autorité (que ces magistrates n’avaient plus sur ce dossier dès lors que le verdict a été prononcé).
La famille d’Eric HAGER a déposé plainte contre ces magistrates. Classement sans suite…
À lire 20minutes, il semble qu’une instance se soit prononcée sur ces faits, les reconnaissant, mais dispensant de peine les mises en cause. Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) peut-être, dans une hypothétique procédure disciplinaire pour manquement déontologique… Cette information est confirmée par StreetPress.
Sur le plan judiciaire, il a donc fallu déposer plainte avec constitution de partie civile pour obtenir instruction de l’affaire, puis ce procès devant une chambre correctionnelle de Lyon.
À Lyon, Mme la Procureure semble en appeler à l’indulgence pour ses deux collègues…
Elle retient l’absence d’intention frauduleuse. Les faits, incontestés, sont pourtant graves. Et il y a mort d’homme. C’est bien délibérément (et après en avoir ‘délibéré’) que ces magistrates ont illégalement ordonné la privation d’une liberté fondamentale. Privation arbitraire ayant vraisemblablement entraîné la mort.
Plus encore, Mme la Procureure plaide « l’erreur de droit » , cause d’ « irresponsabilité pénale » …
L’erreur de droit est l’erreur qui porte sur une appréciation erronée d’une règle de droit ayant conduit un individu à croire à tort qu’il pouvait légitimement accomplir un acte. Ceux qui invoquent pour eux-mêmes l’erreur de droit quant à leur légitimité à décider de la vie d’autrui peuvent-ils quotidiennement et souverainement rappeler leurs concitoyens à la loi et à leur responsabilité ?
« L’erreur de droit » . Voilà le sésame qu’ont invoqué bien maladroitement tant de justiciables non initiés rattrapés par la loi que nul n’est censé ingnorer. Invoqué, sans néanmoins connaître la bonne formule. « L’erreur de droit » ; voilà dorénavant révélée la martingale de l’irresponsabilité pénale.
Serait-ce argutie ? Serait-ce un appel à la relaxe ? C’est en effet la demande du parquet.
Alors que le rôle du parquet est de rappeler à chacun les limites fixées par la société, la demande de relaxe n’en appelle-t-elle pas ici à une dépénalisation de fait de l’usurpation d’autorité judiciaire par le juge ?
Il est sûr en tous cas que ce procès n’est pas banal et que les faits poursuivis ne sont pas à la portée de tous.

Afin d’appréhender la perception de ce procès hors-norme, nous proposons le questionnaire suivant, à remplir à partir des informations fournies dans la presse (liens ci-dessous).
Lien presse : Lyon : accusées d’avoir falsifié la fiche d’un détenu pour le garder en prison, deux magistrates seront-elles relaxées ? (20 minutes)
Lien presse : Deux magistrates font un « faux » qui envoie un homme en prison, il se suicide (StreetPress)
Lien presse : Suicide d’un détenu : les deux magistrates jugées ce mercredi à Lyon (Le Républicain Lorrain)
Lien presse : Deux magistrates jugées à Lyon après le suicide d’un détenu à Bar-le-Duc (ouest-france)
Lien presse : Deux magistrates jugées après le suicide d’un détenu (BFMTV Lyon)
Lien presse : Une substitute du procureur de Chartres jugée pour faux en écriture publique (l’Écho républicain)
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